Témoignage

 

Notre grand-père paternel a fait la guerre dont nous célébrons aujourd'hui la commémoration. Né en 1895, il fut mobilisé début 1915. Fils de paysan et paysan lui-même, il fut  témoin et acteur de cette guerre.

Décédé assez jeune, à 44 ans, en raison notamment des conséquences des gaz inhalés pendant les batailles, il a laissé beaucoup d'écrits sur ce qu'il a vécu ;  peu prolixe sur sa vie personnelle (au jour de la naissance de notre père il a noté "temps frais" sans autre annotation), il a par contre raconté de manière très précise sa mobilisation.

Ainsi le texte qui suit est extrait de son journal où il évoque la période précédant son arrivée sur le terrain de la guerre, notamment le départ de Bordeaux où les jeunes mobilisés apprenaient les rudiments de la guerre, puis son arrivée à Valmy.

 

La ville était silencieuse à cette heure, on ne voyait personne circuler, seules quelques boucheries étaient au travail à préparer leurs étalages de viande pour la journée. Arrivés à la gare on nous fit descendre par les souterrains. le train était composé de wagons à bestiaux que l'on avait aménagé avec quelques banquettes pour pouvoir s'asseoir. Parmi eux il y avait quelques voitures de voyageurs pour les officiers et sous-officiers.

Le wagon où je montai avait servi peu de temps auparavant à transporter du charbon et n'avait pas été nettoyé, aussi une épaisse couche de poussière recouvrait tout le plancher.

On se mit en route vers cinq heures du matin, on traversa de nouveau la Garonne sur le grand pont métallique et on pris la direction de Paris.

Le voyage devait durer deux jours et deux nuits. Le temps était mauvais et monotone, ciel couvert et pluie fine continuelle. On eut le loisir d'admirer les différents paysages que l'on traversait et qui changeaient beaucoup selon les régions. J'ai pu également avoir un aperçu de quelques villes traversées que l'on arrivait à découvrir assez bien vu de la ligne.

Quand nous arrivâmes en champagne où l'on s'était battu à la bataille de la Marne, nous eûmes un aperçu de la guerre. La ligne traversait une vaste plaine entrecoupée de quelques bois. Dans la plaine on voyait nettement les trous creusés par les obus au cœur de la bataille. Dans les bois des arbres avaient été fauchés, quelques un frappés à mi-hauteur étaient comme cassés en deux. Dans les villages les murs étaient détruits. D'autres avaient moins soufferts mais il y avait toujours quelques bâtiments incendiés ou démolis.

La nuit nous pris à peu de distance de Chalons sur Marne. Aussitôt qu'elle fut complètement tombée on voulut comme la nuit précédente éclairer les wagons mais on fit éteindre les lumières par crainte des avions. Cela commençait à sentir la guerre et beaucoup parmi ceux qui montaient pour la première fois avaient un léger pincement au cœur.

Nous continuâmes ainsi notre route presque jusque vers minuit. La train allait doucement et s'arrêtait souvent pour repartir au bout de quelques minutes.

Enfin on s'arrêta pour de bon et bientôt l'ordre courut de wagon en wagon de se préparer à descendre. Dans chaque compartiment ce fut la bousculade habituelle de la mise sac au dos et du ramassage de tout le fourbi que tout le monde avait sorti depuis le début du voyage.

Tout le monde descendit sur le quai et attendit face au wagon qui nous avait amené, la nuit était très noire, le temps couvert et il tombait une petite pluie fine qui ne tarda pas à nous faire grelotter. Enfin les officiers annoncèrent le départ et tant bien que mal en colonne par quatre on sortit de la gare.

Mais personne ne savait où nous étions quand soudain venue d'on ne sait où un nom commença à circuler parmi les rangs Valmy. Nous étions à Valmy.

On nous conduisit dans une grange très grande ouverte à tous les vents et dont le plafond avait été percé par un obus. Il n'y avait que du mauvais foin pourri et mouillé par la pluie qui tombait pour se coucher. On était tellement fatigués par le voyage que tout le monde se laissa tomber sur place et dormit jusqu'au matin.

Le matin la pluie tombait toujours fine et impénétrable avec un petit vent léger qui nous faisait frissonner c'était le jour de Pâques.

 

 

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M
tu as eu raison de nous montrer ce témoignage , un grand père qui voulait transmettre, c'est super, mais on n'ose imaginer la suite <br /> Manel
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C
Que dire! Dommage toutes ces morts dans une guerre, autant d'un côté que de l'autre. Et d'autres comme ton grand-père qui sont décédés jeunes et qui devait avoir des séquelles autres que physiques...Il écrivait bien ton grand-père! Vivement un monde de paix! Bonne journée.
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C
Très beau témoignage. Toute cette jeunesse qui monta au front, qui affronta la boucherie et la barbarie, pour qui l'Etat Major n'a pas eu la considération que tout humain doit à son frère humain,je crois qu'on a du mal à se l'imaginer. Pour nous, ce sont des chiffres, des résumés de livres d'histoire. Merci de donner un coeur et de la chair à ce "savoir théorique". Mes arrière-grand-pères ont fait 14-18. J'ai une photo de l'un d'eux, dans une tranchée, une photo carte postale comme les plus pauvres en envoyaient à leurs familles. Elle est adressée à sa femme et ses trois enfants, écrite au crayon à papier d'une belle écriture penchée. Mon arrière grand père est mort peu après la fin de la guerre, des suites des gaz. Il a craché ses poumons pour la France mais ne fait pas partie des morts pour la France.
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T
oui comme le mien mort juste avant la guerre en 1939. Ce qui est impressionnant dans ses écrits c'est qu'à aucun moment il n'évoque une crainte ou une peur de la guerre, plus la peur de l'inconnu dans ses déplacements (les grandes villes par exemple), nous n'avons pu avoir accès à tous ses écrits manquent notamment le temps passé aux tranchées.
C
Un témoignage émouvant, à garder précieusement ! J'ai quelques bribes de cette guerre à travers ma collection de cartes postales brodées ... Quand parlera-t-on du mot guerre à l'imparfait ?????????????? Belle journée Maryline
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L
Beau témoignage d'une génération sacrifiée !<br /> <br /> Je te souhaite une belle soirée et je te fais de gros bisous !<br /> Lavandine<br /> http://lorgnettedunjour.canalblog.com/
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T
merci à toi,bonne soirée et bonne semaine
P
C'est un récit plein d'émotion, très poignant. Toutes les guerres sont des désastres et celle-ci l'a été tout particulièrement. Malheureusement, les hommes ne sont pas capables d'en tirer des leçons. On dit que c'est la dernière et ça continue, encore et encore pour le plus grand bonheur des fabricants d'armes.<br /> Si vous ne l'avez pas lu, je vous conseille ce merveilleux livre de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, "Au revoir là haut". Moi, je suis tombée "in love" de ce bouquin.<br /> Merci Maryline pour ce joli moment d'histoire. Bon week end. Bises.
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T
merci pour ton conseil de lecture Bonne soirée à toi
P
Que c'est émouvant de lire de tels récits ! Mon arrière grand père est mort au retour de la guerre, gazé ! Ma grand mère née en 1914 n'a pas eu la chance de beaucoup connaître son père ! Sa pauvre mère, a dû se débrouiller comme elle a pu pour élever ses deux filles sans avoir été reconnue veuve de guerre ! Quelle tristesse ! Comme les hommes oublient vite quand on voit se qui se profile à l'horizon ! Merci Maryline pour ce partage !
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M
Récit très bien écrit, et décrit, émouvant pour nous à lire aujourd'hui. Il ne savait pas ce qu'au bout du voyage il allait endurer... Quelle vie, c'est pour cela qu'il faut se souvenir toujours...<br /> Mes petits enfants Max et Linette étaient ce matin avec une poignée d'autres gosses à la cérémonie au monument aux morts de leur village dans l'Eure. Bien des parents n'ont pas fait la démarche avec leurs enfants. Merci de partager ce beau texte.
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C
La maîtresse de ma classe a montré le monument aux morts du village aux enfants de GS et CP. Quelles terribles épreuves ils ont traversé ces poilus quand on y pense...
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T
oui je pense que tout cela est inimaginable pour nous, on en a pris conscience tout de même en visitant Verdun il y a deux ans, certains vestiges entretenus laissent entrevoir les conditions inhumaines laissées à ces soldats.
V
Bel hommage à ton grand'père. C'est bien de sa part d'avoir laissé des écrits.<br /> Bel après-midi<br /> Bises
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T
malheureusement il nous manque plein de livres et son histoire est incomplète.
H
Merci de nous faire partager un peu de ton histoire familiale. Ton grand-père avait un talent d'écrivain, je lirai bien la suite.<br /> Bises
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