Quand l'insomnie est là... je ne tourne pas en rond, et souvent j'attend le nouveau cycle de sommeil sur mon canapé devant la télévision allumée, ça finit souvent par me rendormir (!!!) et puis, parfois, il y a des rediffusions plus intéressantes... comme cette nuit "les mots de minuit", un plateau feutré, peu d'invités, un animateur cultivé et attentif...
et l'occasion de découvrir Claude Nouri un photographe actuellement exposé à la Maison Européenne de la Photographie
et puis encore Pascal DIBIE, un ethnologue auteur du livre offert récemment à l'amoureux
A la question d'un journaliste lui demandant d'où lui venait son intérêt pour les portes voici ce que Pascal DIBIE lui répond
" Je m’intéresse au quotidien, à sa banalité. On passe une porte 400 à 500 fois par jour, et l’on ne se rend plus compte que l’on prend des précautions particulières. Ce qui m’intéresse, c'était d’essayer de voir comment pour un acte aussi banal que de passer d’un espace à un autre, on s’est inventé des choses aussi compliquées.
Par exemple, le fait même de sortir, étymologiquement, est lié à la question du sort, et des sortilèges que l’on installait devant les ouvertures pour nous protéger, ou au contraire pour nous attaquer, d’où les seuils. Il n’y a pas une porte sans seuil, et il n’y a pas un seuil qui ne soit pas chargé d’une façon ou d’une autre, soit par un dessin, un signe. Jadis, on enterrait les fœtus, ou le cordon ombilical sous le seuil de la maison. Ce qui m’intéressait, c’est qu’une porte n’est jamais neutre, et que la question du dehors et du dedans est une question éminement philosophique et culturelle."
L'interview complet ici et plus d'informations sur le livre et sur l'auteur :
Présentation de l'éditeur
Qu’est-ce qu’une porte ?
Dans sa définition même elle implique l’existence d’un "dehors", autrement dit de ce qui est "hors de la porte". Nous y sommes : la porte est d’abord vue de l’intérieur de la maison par celui qui s’y inscrit… A partir de là tout est à penser : le dedans, le dehors, l’ouvert, le fermé, le bien-être, le danger, et c’est pour elle que nous nous sommes institués, nous les hommes, en grands paranoïaques autant qu’en dieux et en techniciens ! Pas un lieu où nous avons voulu dormir que nous n’avons barricadé, pas un champ que nous n’avons borné, pas un temple que nous n’avons chargé, pas une famille ni une ville que nous n’avons protégées. Nos portes sont partout, issues étroites ou portes monumentales.
Des Magdaléniens d’Etiolles à la porte d’Ishtar à Babylone quelle folie nous a prise? Portiques grecs, arcs de triomphe romains, Jésus qui prêche aux portes, L’enfer qui s’en invente, notre imaginaire de la porte se construit petit à petit. On arme les châteaux de pont-levis et de symboles, on enclot les femmes et puis on fait des Entrées solennelles, on s’invente des étiquettes autant pour les hommes que pour les livres. On dresse partout des barrières jusqu’à inventer les frontières. La ville s’avance, la société se discipline, se numérote, s’invente des règles qu’elle affiche aux portes : prestige, convenances, mort, on peut tout lire à la porte de nos vies. Le folklore s’est emparé des seuils, a nourri nos croyances et nos étranges rites de passage. Nos semblables d’un ailleurs proche ou lointain n’ont pas fait moins : jnouns et serrures veillent en Afrique pendant qu’en Chine on calcule encore l’orientation des ouvertures et qu’à chaque porte se joue l’équilibre de l’univers entier. En Amazonie la porte est en soi alors qu’en Océanie elle est un long chemin d’alliance.
La porte est pour chacun un bonheur et une inquiétude quotidiens tout simplement parce que, de tous nos objets du quotidien, elle représente un monde inépuisable de pensées.
Biographie de l'auteur
Pascal Dibie est Professeur d’Ethnologie à l’Université Paris Diderot-Paris 7 où il co-dirige le pôle des sciences de la ville. Il est l’auteur d’une ethnologie d’un village de Bourgogne effectué à 30 années de distance qui fait référence : Le Village retrouvé, ethnologie de l’intérieur (Grasset, 1979) et Le village métamorphosé, révolution dans la France profonde (Plon, 2006). Il est également l’auteur de Ethnologie de la chambre à coucher traduit en 15 langues (Grasset, 1987, reprise en Suite Métailié, 2000), La Tribu sacrée, ethnologie des prêtres (Grasset, 1993 reprise en Suite Métailié, 2004), et La Passion du regard, essai contre les sciences froides (Métailié, 1998).